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jeudi 20 décembre 2012

L'affaire des faux Louis d'argent (1855)

Vous souvenez vous ?
J'évoquais il y a quelques temps le destin de la famille Chevaux, partant de Voulême (86) en 1669, s'établissant ensuite sur plusieurs paroisses alentours pour venir se fixer d'une part à Montalembert (79) et d'autre part à Saint-Macoux (86). Voici un épisode de cette saga, s'attachant en fait à Pierre Chevaux, demi-frère de l'une de mes ancêtres, qui connut bien des déboires. 


Le 6 septembre 1855, c'est le jour de foire à Sauzé-Vaussais (79). Jeanne Ollivet, 47 ans, la veuve Chevaux, se présente avec sa fille Marie, 18 ans, au banc de Suzanne Therminaria, femme Lombard, boulangère à Chef-Boutonne (79), demandant qu’on lui donne de la monnaie d’une pièce de 5 francs. Alors qu’elle lui remet la pièce et déjà qu'elle achève de ramasser la monnaie qu’elle venait de lui être comptée, la boulangère devient livide. Cette pièce, à l’effigie de Louis XVIII et au millésime de 1819, est de suite reconnue fausse par la femme Lombard et il en est de même, quelques instants après, d’une seconde pièce semblable à celle offerte à cette femme, et que la veuve Chevaux avait également en sa possession.

Jean Main, maréchal des logis, accompagné d'Augustin Mondé et de Charles Schilleaud, gendarmes à cheval, sont de service ce jour-là à la foire. Ils aperçoivent près de la halle les deux femmes discutant à vive voix et se décident à intervenir. On reconnaît vite que la pièce est fausse. Elle est alors questionnée par le gendarme : la femme a reçu cette pièce à Poitiers où elle était allée en témoignage. En a-t-elle d'autres ? Elle pousse sa fille du coude et lui remet quelque chose qu’elle prend dans sa poche : c’était une 2ème fausse pièce que sa fille montre bientôt sur l’invitation même de sa mère et l'insistance du gendarme. 

La veuve Chevaux commence à soupçonner son fils Pierre, 22 ans, qui ne lui a causé que des soucis. D'ailleurs, n'a-t-il pas été condamné quelques semaines plus tôt pour le vol d'un pain ? Sa jeune fille est questionnée à son tour, mais il apparaît évident qu'elle n'a aucune connaissance de cette affaire, si ce n'est qu'il s'agirait bien d'un tour de son vaurien de frère. Les deux femmes sont conduites dans la gendarmerie, et le parquet de Civray est prévenu. 

Le fils, qui habite dans une petite grange située derrière la maison de sa mère, est aussitôt appréhendé. 

Pierre Chevaux est connu dans le pays pour fabriquer des boutons, en employant pour ce faire de l'étain fondu et un moule en pierre. Trois ans auparavant, il avait eu quelques ennuis avec un sieur Rivaud. Il avait engagé les enfants de celui-ci, en échange de boutons en étain, à soustraire à leur mère une cuillère en argent. 

Dans les dernières semaines, ledit présumé voyou avait été vu par sa soeur Jeanne en train de faire fondre quelques chose de blanc dans un pot : « il creusait, avait raconté t-elle, une pomme de terre de part en part, y versant la matière fondue qui traversant la pomme de terre venait tomber dans une assiette où il y avait du sable. » 

L'instruction fait découvrir aux enquêteurs que Pierre Chevaux avait lui-même, dès le 7 janvier dernier, sur les six heures du soir, dans les châtaigneraies de Lapiteau, demandé à un nommé Joseph Naud de lui donner la monnaie d’une pièce de 5 francs. Cette pièce, suivant ce qu’a déclaré Naud, avait bien la forme et l’épaisseur de celles de 5 francs, mais elle était noire, sans lettre autour, et en plomb. C’était très certainement une pièce contrefaite. 
« elle ne vaut rien, elle est en plomb, je n'en veux pas ! aurait déclaré Naud. 
— Si tu n'en veux pas, je la donnerais à d'autres » répond Chevaux. 
Le même jour, pareille demande était faite à un sieur Moreau. Mais celui-ci n’a pas vu la pièce que Chevaux voulait lui échanger. 

Chevaux avait même, une fois ou deux, offert d’échanger une pièce d’or. On lui aurait en outre entendu dire dans plusieurs circonstances où il manifestait son intention de se livrer au commerce d’une manière qui supposait des ressources dont on le savait totalement dénué, qu’il ne manquait point d’argent et qu’il savait où était le moule pour en faire. 

Bien sûr, le jeune homme nie farouchement les faits. Il reconnaît s’être servi, mais deux fois seulement, d’étain fondu, uniquement pour souder un chandelier appartenant à sa mère (ce chandelier fut endommagé par Marie Naud, courant novembre 1854). Il nie avoir jamais fabriqué des boutons ni demandé aux enfants Rivaud de lui procurer une cuillère. Comme les preuves sont contre lui, il trouve à redire aux enquêteurs : il prétend, contre toute certitude, qu’en 1850, il avait reçu d’un sieur Badin et d’un sieur Texereau — qui selon lui en auraient fabriqué à cette époque, jusqu’en 45 — 4 pièces de 5 francs contrefaites. Il les avait conservées jusqu’à il y a six mois. Alors il en avait remis deux à sa mère mais en l’avertissant de ne pas s’en servir parce qu’elles étaient fausses. 

La veuve Chevaux reste constante dans ses déclarations : elle a constamment affirmé qu’à son retour de Poitiers, où elle était allée en témoignage au mois d’août dernier [1], et où elle avait reçu 30 francs environ, il lui restait notamment trois pièces de 5 francs, que c’étaient ces trois même pièces qu’elle croyait avoir emportés à la foire de Sauzé. Si deux de ces pièces se trouvaient fausses, elle supposait qu’à son insu et comme il l’avait d’ailleurs fait plusieurs fois, son fils Pierre avait ouvert son tiroir et avait substitué à deux bonnes pièces les pièces contrefaites. Mais tout concourt à établir que la femme Chevaux n’ignorait pas que deux des pièces qu’elle avait à la foire de Sauzé et spécialement celle qu’elle offrait à la femme Lombard, étaient fausses. 

D'après la veuve Chevaux, ce serait le lundi 3 dans la soirée que, devant aller le lendemain à Civray, elle aurait pris dans le tiroir où elle les avait placées les 3 pièces de 5 francs ; elle les aurait gardées sur elle depuis ce moment jusqu’au jeudi 6, sans s’apercevoir de la substitution opérée par son fils. Pourtant les deux pièces contrefaites l’ont été si grossièrement qu’il ne paraît pas possible que l’œil le moins exercé puisse s’y tromper. 

Le 14 septembre, la veuve Chevaux et son fils Pierre sont mis en examen. Ils sont accusés : 
  1. Pierre Chevaux, premièrement, d’avoir depuis au moins dix ans, en la commune de Saint-Macoux, contrefait ou altéré des monnaies d’argent ayant cours légal en France ; deuxièmement, d’avoir le 7 janvier 1855, en la commune de Saint-Macoux, émis frauduleusement en l’offrant au sieur Naud Joseph, une pièce qu’il disait être d’argent et de la valeur de 5 francs, laquelle était contrefaite ou altérée – à tout au moins d’avoir ce 7 janvier 1855 en la commune de Saint-Macoux, tenté d’émettre frauduleusement en l’offrant au dit Naud une pièce qu’il disait être d’argent et valoir 5 francs, laquelle était contrefaite ou altérée, laquelle tentative manifestée par un commencement d’exécution n’a été suspendue ou n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur, 
  2. Jeanne Olivet, veuve Chevaux, d’avoir le 6 septembre 1855, à Sauzé-Vaussais, frauduleusement émis une pièce de monnaie qu’elle disait être d’argent et valoir cinq francs, laquelle était contrefaite ou altérée – ou tout au moins d’avoir le 6 septembre 1855, en la commune de Sauzé-Vaussais, tenté d’émettre frauduleusement émis une pièce de monnaie qu’elle disait être d’argent et valoir 5 francs, laquelle était contrefaite ou altérée, laquelle tentaive manifesté par un commencement d’exécution n’a été suspendue ou n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. 
Pierre Chevaux a une réputation détestable, il a été condamné pour vol, et, selon son frère, il lui a volé, il y a trois ans, une somme de 60 francs qui aurait du servir à acquitter les frais d’un procès perdu par leur mère.

Jean Naud, 45 ans, rapporte une anecdote à charge contre l'accusé : un an auparavant, sa nièce, Agathe Naud, fille du premier lit de la femme Verron [2], qui devait se marier avec Pierre Chevaux, est venu le prier de lui prêter treize francs et trente centimes, pour payer la farine que le jeune homme avait acheté pour faire le pain de la Noël. La femme de Naud eut l’obligeance de lui prêter cette somme, que Chevaux devait rendre. Mais, malgré les réclamations des Naud, Chevaux s'en est toujours dispensé par des faux fuyants. 
Un jour, donc, Jean Naud va trouver Chevaux chez sa nièce, et le jeune homme lui dit : « j'ai un Louis d'Or ! Je vais vous payer. » Ils sortent ensemble et chemin faisant dans la direction de Chez Chevaux, le garçon dit : « je vais vous donner mon Louis, et demain, vous me remettrez la différence de ce que je vous dois. » 
Naud, par cette belle journée, ne veut pas s'encombrer de la pièce et préfère la recevoir en soirée. Ils allèrent tous deux au cabaret, se firent remettre une bouteille, et au moment de payer, Jean Naud demanda son Louis d'Or. Pierre Chevaux prétexta un besoin pressant, sortit et ne reparut plus. 
C'est la nièce Naud qui remboursa son oncle. 

Les accusés sont placés en prévention le 24 octobre 1855. Par arrêt de la chambre des mises en accusations de la Cour impériale de Poitiers, en date du 9 novembre 1855, l'affaire est renvoyé par devant la Cour d'Assise de la Vienne et le procès se tient le 24 suivant.

Les questions soumises au jury sont les suivantes. En ce qui concerne Pierre Chevaux :
  1. Pierre Chevaux, accusé, est-il coupable d'avoir depuis moins de dix ans, en la commune de Saint-Macoux, contrefait ou altéré des monnaie d'argent, ayant cours légal en France ? Oui à la majorité. 
  2. Pierre Chevaux, accusé, est-il coupable d'avoir, le 7 janvier 1855, en la commune de Saint-Macoux, émis frauduleusement, en l'offrant au sieur Naud Joseph, une pièce qu'il disait en argent et de la valeur de cinq francs, laquelle était altérée ou contrefaite ? Non. 
  3. Question subsidiaire : tout du moins, l'accusé sus-nommé est-il coupable d'avoir le 7 janvier 1855, en la commune de Saint-Macoux, tenté d'émettre frauduleusement, en l'offrant au dit sieur Naud, une pièce qu'il disait en argent et valoir cinq francs, laquelle était contrefaite ou altérée - laquelle tentative manifestée par un commencement d'exécution n'a été suspendu ou n'a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur ? Oui, à la majorité. 
En ce qui touche Jeanne Olivet, veuve Chevaux : 
  1. Jeanne Olivet, veuve Chevaux, accusée, est-elle coupable d'avoir, le 6 septembre 1855, à Sauzé-Vaussais, frauduleusement émis une pièce de monnaie qu'elle disait être d'argent et valoir cinq francs, laquelle était altérée ou contrefaite ? Non. 
  2. Question subsidiaire : Tout du moins, la sus-nommée est-elle coupable d'avoir le 6 septembre 1855, en la commune de Sauzé-Vaussais, tenté d'émettre frauduleusement une pièce qu'elle disait être d'argent et valoir cinq francs, laquelle était altérée ou contrefaite, laquelle tentative, manifestée par un commencement d'exécution, n'a été suspendue ou n'a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur ? Non. 
Ainsi, le jury accorde le bénéfice du doute à la veuve Chevaux : Jeanne Olivet est acquittée, sur la plaidoirie de M. Arnault-Ménardière.

Pierre Chevaux, déclaré coupable avec circonstances atténuantes, a été condamné à 5 ans de réclusion et 100 francs d'amende, défendu par Me Courbe. 


[1] Est-ce l'affaire Jean Naud ?
Ce dernier (il ne s'agit pas du même Jean Naud cité dans cet article), né en 1786 à Saint-Macoux et demeurant à Chez Chevaux, même commune, paraît au tribunal des Assises de Poitiers le 21 août 1855 sous l'accusation de trois attentats à la pudeur, tentés ou consommés, sans violence, sur des enfants au dessous de l'âge de 11 ans. Le jury a rapporté un verdict affirmatif sur deux des questions qui lui étaient soumises, avec admission de circonstances atténuantes. Naud, qui était défendu par Me Lepetit jeune, a été condamné à 15 mois d'emprisonnement. Cette affaire a été jugée à huis clos (AD en ligne, Affiches du Poitou, édition du jeudi 23 août 1855).

[2] Jean Naud défend la réputation de sa soeur. Dans les faits, Marie-Agathe, dite Agathe, Naud est née de père inconnu et d'Antoinette Naud, qui épousera, quelques années après la naissance de sa fille, Louis Verron (AD en ligne, Saint-Macoux, N - 1823-1832, v.52/62).

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