dimanche 1 avril 2012

Lettres d'un Curé des environs de Civrai (4)


AdP 06/07-28/09/1786
 Du 17 août 1786

Lettres d’un Curé des environs de Civrai, à l’Auteur des Affiches

J’ai coutume, M., de vous parler dans cette saison, de Botanique ou d’Agriculture. Je vous dirai cette année, que tous voyons un spectacle magnifique dans nos campagnes ; les plantes y fleurissent & prospèrent ; la récolte des foins a été assez abondante ; Dieu veuille que celle des grains soit égale ! Cependant j’ai été allarmé il y a environ deux mois : je vis dans les champs, des épis de seigle, qui n’étoient pas dans un état naturel, & roulés en forme de cornet ; j’examinai l’enveloppe du grain, j’y trouvai plusieurs insectes, dont les uns me parurent être de la classe des pucerons ; je ne pus reconnoître les autres malgré mes recherches les plus attentives : craignant que ce ne fut l’insecte qui occasionne l’ergot ou clou, ou l’animalcule du blé rachitique, dont parle Maurice Roffredy, je pris le parti de prendre des instructions, & pour cet effet j’envoyai des épis de seigle, remplis de ces différents insectes, à M. le C.G., qui renvoya ma lettre à M. de V., lequel pris la peine de me répondre en ces termes :
« M. le C.G., M., m’a fait le renvoi de la lettre, & d’un petit paquet que vous lui avez adressé, contenant des épis de seigle encore verts. J’ai fait remettre les épis à un Académicien, qui a examiné les insectes qui y étoient renfermés ; il s’en est trouvé trois vivans, dont on a distingué à la faveur de la loupe, les ailes, les antennes & les autres parties du corps ; ils ont été reconnus pour être de la classe des ichneumons, & de l’espèce de ceux qui sont désignés sous le nom d’ichneumons à coque en forme de rayons de ruche. On pense que ces insectes n’attaquent point les épis ; qu’au contraire ils font la guerre aux pucerons & aux chenilles, qui vivent sur les plantes : dès-lors on peut présumer que si ces insectes se sont trouvés sur les épis de seigle, ils y avoient été attirés par les pucerons,  & que ceux-ci avoient altérés les balles de seigle que vous avez observées dans un état qui n’est pas naturel, c'est-à-dire, roulées en forme de cornets ; ainsi bien loin que les insectes dont il s’agit, puissent nuire aux grains, on les croit capables de détruire ceux qui réellement cherchent leur nourriture dans les différentes espèces de grains, & transportés dans les granges & les greniers, ils peuvent encore y devenir utiles, en continuant d’y attaquer d’autres insectes qu’on y auroit transportés avec eux, & qu’il seroit essentiel de faire périr. J’ai l’honneur d’être, &c.»
Jugez, M., combien cette réponse m’a tranquillisé ; mais il me reste à faire cesser les craintes de mes paroissiens qui sont allarmés depuis qu’ils ont apperçu cet insecte, qui n’est pas encore assez commun dans notre province. En effet l’histoire naturelle nous apprend que dans l’automne de 1731, & le printemps de 1732, les chenilles furent très communes, & qu’heureusement ces ichneumons les détruisirent : on voit dans M. Valmont de Bomare, la manière curieuse avec laquelle ces ichneumons attaquent, lardent & mangent les insectes.
Je suivois, il y a quelques jours, un homme de ma paroisse, qui en labourant découvroit un nombre infini de turcs, mans ou tacs : après avoir parlé des moyens de les détruire, ce laboureur me dit que le soleil en étoit le plus grand destructeur. En effet je fus étonné de voir que le soleil les saisit, les rendit immobiles & noirs comme du charbon.
Voilà, M., une réflexion que m’a fait naître cette expérience ; je me suis dit à moi-même, puisque les labourages d’été détruisent ces vers, pourquoi ne laboure-t-on pas en été ? D’ailleurs ils est de principe certain, suivant le proverbe de nos anciens, que labour d’été vaut fumier ; ce qui paroit en théorie facile à croire, parce qu’en enterrant les herbes après récolte, on donneroit à la terre plus qu’elle n’a perdu, & ces herbes formeroient du fumier, souleveroient la terre, & la rendroient plus facile à s’imprégner d’eau.
Il en résulteroit encore une chose essentielle, c’est que le grain qui tombe, naîtroit, formeroit du pâcage & une perdure, qui par un second labour périroit & rendroit à la terre plus de principes qu’elle n’en a perdu : au lieu que dans une partie du Poitou, on ne laboure que dans le mois qui précède les semailles ; ce qui fait qu’in ne voit qu’une terre dure compacte & soulevée en mottes, qui n’est pas décomposée & assez préparée pour recevoir la semence.
On assure que M. le Vicomte de la Châtre pratique cette méthode, & qu’il amasse plus de blé que tous ses voisins : ainsi si ce système pratique est fondé en théorie, & si l’expérience en assure le succès, pourquoi n’adopte-t-on pas une méthode qui produit beaucoup plus de blé, & détruiroit les turcs, qui sont un fléau pour nos champs & nos prairies.
Tous les laboureurs de ma paroisse assurent que si on fume les défrichements avec du fumier de brebis, on empoisonne tous ces vers qui rendrent les travaux infructueux : c’est une expérience facile à faire, & qui mérite d’être appuyée sur l’expérience même.
J’ai l’honneur d’être, &c.

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