mardi 20 mars 2012

Lettres d'un Curé des environs de Civrai (1) - 1e

Chronique que je diffuse également sur le forum du ge86, il s'agit d'un ensemble de lettres adressées à l'hebdomadaire des "Affiches du Poitou" par un Curé de campagne avant-gardiste.
Ces lettres donnent un aperçu de la vie de campagne, juste avant le déclenchement de la Révolution.

Sources : AdP 07/04/1785 - 30/06/1785, v.2 (n°14, p.2)

Du jeudi 29 septembre 1785

Observations d’un Curé des environs de Civrai

Le 26 Octobre 1784, il tomba dans nos cantons beaucoup de neige qui étonna nos vieillards ; le froid se fit sentir jusqu’au 18 Novembre, il tomba une pluye abondante ce jour-là ; le froid reprit & dura jusqu’au mois de février, & il tomba dans ce mois beaucoup d’eau qui fit augmenter la Charente.
Nous n’avons point eu d’eau depuis cette époque. Le 14 Mars, nous éprouvâmes, comme ailleurs, un vent très froid qui continua les 16, 17 et 18 ; jetta de la neige dans les appartemens, & en forma des monceaux dans les chemins, qui ont fait souffrir & arrêté les voyageurs.
Le 28 mai, il tomba un peu d’eau qui pénétra la terre d’un demi-pouce de profondeur ; le 31 du même mois, on épouvra une gelée qui détruisit nos avoines & retarda nos bois.
Voilà donc cinq mois que nous éprouvons une sécheresse qui détruit notre bétail & allarme tous les jours notre pays ; le grain a péri dans les champs, & le papillon le dévore dans les greniers.
Ce n’est pas tout ; mes dixmeurs & plusieurs moissonneurs me firent appercevoir, le 6 juillet dernier, plusieurs vers qui tombaient des gerbes ; j’en ramassai quelqu’uns-uns que je reconnus bien, d’après M. Valmont de Bomare, être la chenille de la fausse teigne : nos moissonneurs n’ont jamais vu regner cet insecte dans nos blés.
Je pris une poignée de froment, & je vis qu’une grande partie des grains était attaquée dans l’endroit du sillon du même grain, & que cet insecte avait brisé l’écorce du sillon pour s’introduire, déchirer & entamer la partie farineuse ; il paroît ensuite une petite trappe ouverte & un trou par lequel cette chenille a sorti.
Nous voilà encore un nouvel ennemi dangéreux qui, joint avec le charançon & le papillon, va désoler notre pays, & d’après mes exactes recherches, je vois que les chaleurs de cette année ont fait propager tous ces dangéreux insectes d’une manière effrayante, & je ne doute plus que le papillon ait déjà donné plusieurs générations. Nos moissonneurs apperçoivent vers le coucher du soleil des essaims de papillons dans les plaines. Il faut absolument mettre en usage les opérations que propose ce Particulier du Languedoc [1] ; je ne cesse d’en faire l’éloge & d’encourager les propriétaires ; je leur ai montré combien cette méthode est bien plus simple & moins dispendieuse que toutes les autres ; elle offre moins de travail, il faut moins de bois, moins de charbon, & elle est moins à craindre. Cette chaleur est toujours égale, il ne faut ni livres ni thermomètres, ni ces précautions gênantes.
D’ailleurs, comme il est d’usage de laver les blés, on peut réunir deux opérations en un seul jour ; l’économie s’y trouve. Mais après avoir fait l’éloge de cette opération, qui est à la portée de tout le monde, qui bien loin d’offrir du déchet dans le poids & la mesure, donne au contraire plus de pain, on me fit l’objection à laquelle j’ai voulu répondre par l’expérience. On me dit que ce blé lavé dans l’eau bouillante ne germeroit pas. Je répondis que ce grain n’éprouvoit qu’une chaleur passagère, momentanée ; je dis même qu’un jour j’avois vu un laboureur chauler son blé avec une chaux abondante & très-vive, et que pour voir si cette chaleur n’influoit pour sur le germe, j’étois allé le voir semer son blé, qui avoit très-bien germé, sorti & produit du grain ; sur le champ, en présence de personnes respectables, je lavai du froment dans l’eau bouillante, je vis dans plusieurs grain de très-petites chenilles sorties à demi & cuites ; je ne cherchai point à considérer si c’était une chenille de papillon ou fausse teigne ; je semai le mon grain lavé, & l’expérience m’a prouvé mon erreur. J’ai répété mes essais, je n’ai jamais trouvé qu’un grain pourri & sans apparence de germer ; j’ai appris, comme j’apprends tous les jours, qu’en étudiant la nature, il faut suspendre son jugement, & que dans mes expériences le doute doit en être le commencement, parce qu’il est souvent le terme.

(La fin à l’ordinaire prochain)

[1] L’article évoqué par le Curé est publié dans l’édition du jeudi 7 avril 1785. Le voici dans son intégralité :

Procédé éprouvé pour détruire les œufs de Papillons & les Charensons qui attaquent les grains, publiés par ordre du Gouvernement.

Les Officiers Municipaux d’une ville de Languedoc ont été invités au mois de Septembre 1784 à se transporter chez un particulier, qui leur a montré deux sacs de bled froment, qu’il ont vérifié être de même qualité & recueilli dans le pays ; après quoi ce particulier a fait tremper pendant quelques minutes un des deux sacs de bled dans l’eau bouillante, puis l’a fait égouter & l’a exposé sans sa cour, où le soleil donne environ pendant deux heures, pour le faire sécher ; il y est resté deux jours ; l’autre sac a été mis sous clef.
Au bout de deux jours, le bled trempé ayant été trouvé assez sec, il en a été pris une mesure & autant de celui mis sous clef, pour les faire moudre & en faire du pain séparément.
Les deux moutures ont ensuite été portées séparément chez un Boulanger de la ville ; la farine a été travaillée, & la pâte mise au four. Toutes les opérations ont été faites en présence des Officiers.
Le pain cuit & réfroidi, il a été reconnu que celui provenant du bled lavé à l’eau bouillante, étoit un peu plus blanc que l’autre & avoir produit 3 pains doubles & demi de plus ; ce qui fait par sac 14 pains du poids de 2l. chacun, & sur le taux alors courant du prix du bled, une augmentation de 2H16ß par sac de 200l.
Les Officiers Municipaux ont cacheté les sacs, qui renferment le restant des deux qualités de bled, & se proposent de faire une seconde & une troisième expériences pareilles à la première, l’une au mois de Mai 1785 & l’autre en Août suivant.
En attendant, le particulier assure, dans un Mémoire qu’il a envoyé à la fin du mois de Novembre 1784, qu’il visite souvent les deux sacs qui lui ont été déposés, qu’il n’a point encore apperçu un seul ver sur le sac de bled lavé, tandis que l’autre en est surchargé.
Si, comme il l’espère, le succès couronne ses espérances, l’on pourra dorénavant préserver les grains du Charenson, par une pratique qui ne sera ni dispensieuse ni difficile.
L’on a, ajoute t-il, dans tous les ménages les instruments nécessaires à cette opération ; il voudroit seulement que le panier d’osier, dont on se servira pour plonger le bled dans la cuve, fut couvert ; le grain ne pourroit alors sortir aucunement. L’immersion doit être répettée trois ou quatre fois rapidement ; par le moyen d’un chaudron posé sur le foyer, on auroit soin d’entretenir l’eau au même degré de chaleur ; au sortir du cuvier, le froment seroit jetté en tas sur une toile, il en seroit rétiré demi-heure après. Il a à peu près besoin de ce temps pour pouvoir être ensuite remué avec un rateau sur d’autres toiles qu’on disposeroit tout près de celles qui l’auroient d’abord reçu, & il seroit possible qu’une seule personne donnât dans une journée cette dernière façon à 100 sacs de bled.

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